Le 11 – 11 des gauchers*

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Le 11 novembre est la date anniversaire de l’Armistice de 1918. Comme tous les ans, la « Patrie reconnaissante » y a honoré la mémoire de ses morts : pas moins d’un million et demi d’hommes, fauchés, pour la plupart, dans la fleur de l’âge.

Mais on a tendance à oublier qu’il n’y a pas eu que des morts parmi les victimes de la Grande Guerre. Le conflit a aussi fait quelque… trois millions six cent mille blessés (10 % de la population) !

Quel rapport avec les gauchers, allez-vous me dire ?

En fait un rapport très direct, quoique largement méconnu. Voici : Parmi les invalides de guerre de 14-18, on trouve une multitude de soldats ayant perdu le bras droit.

Tant par leur nombre que par leur spécificité, ces « nouveaux gauchers » (c’est ainsi qu’on les nomme à l’époque) constituent un problème de santé publique majeur. Pour faciliter leur réinsertion, le gouvernement multiplie les initiatives : ateliers de rééducation, cours du soir, manuels d’écriture de la main gauche, etc.

Des ingénieurs inventent même des prothèses appropriées (les fameuses mains de travail du Dr Boureau) ou des dispositifs assurant la rééducation de la main gauche, comme cette varlope inscrivante, censée, prétend son auteur, « former d’assez bons gauchers ».
Reeducation-de-la-main-gaucAinsi, après guerre, des milliers et des milliers de jeunes gens retournent au village dotés d’une faculté qu’ils ne possédaient pas en le quittant pour partir au front. Certes, malgré le surnom qu’on leur donne, ils ne sont pas à proprement parler devenus des gauchers, mais ils se conduisent néanmoins comme tels dans la vie quotidienne : ils saluent de la main gauche, écrivent de la main gauche, mangent de la main gauche, effectuent leur signe de croix de la main gauche, manient l’outil de la main gauche, etc.

De telles pratiques, qui étaient jusqu’alors réprouvées par la morale et donc sévèrement réprimées, passent désormais pour des marques de vertu. Pour la première fois dans l’histoire de France, l’usage de la main gauche se voit, à l’échelle nationale, associé à l’idée de dignité humaine, de mérite et d’ordre social.

S’ensuivra une prise de conscience dans l’opinion publique…

« Nous avouons, dit ainsi un instituteur, ne pas distinguer le motif que l’on peut invoquer avec raison pour obliger un gaucher véritable à torturer sa nature, si exceptionnel qu’il soit dans une classe » [1].

Cette remarque peut paraître bien anodine aujour­d’hui ; elle n’en constitue pas moins une véritable révolution pour l’époque. Grâce à la compassion admirative que vaut aux « glorieux manchots » leur courage face à l’adversité, les gauchers attirent enfin l’attention sur leur triste sort. Le premier pas de leur délivrance est ainsi franchi.

Ainsi, amis gauchers, avec Brassens, nous pourrons chanter :
« Moi, mon colon, celle que je préfère, c’est la Guerre de 14-18 »…

Gauchèrement vôtre,

pmb

Je me permets de renvoyer tous ceux que ça intéresse à mon livre « Histoire des gauchers » Édition Imago où le sujet est abondamment développé.

[1] F. Garcin, Comment écrire des deux mains, Paris, Nathan, 1918, p. 5

* Réédition d’une chronique mise en ligne en novembre 2009.

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