Contrairement au rire qui, paraît-il, est le propre de l’homme, la latéralité est un phénomène que nous partageons peu ou prou avec nos amies les bêtes.
Certes, les choses se présentent autrement pour elles que pour nous :
Pour nous qui vivons debout, la droite et la gauche sont bien distinctes et nous privilégions majoritairement la première sur la seconde. D’aucuns, cependant, présentent une préférence inverse. Ce sont les gauchers, ces individus qui passaient naguère soit pour de « drôles de zèbres », soit pour des « oiseaux de mauvaise augure », soit pour de « vilains petits canards », soit encore pour des « moutons noirs ».
… Une ménagerie à eux tout seuls !
Chez les animaux, l’opposition droitiers/gauchers n’est pas aussi marquée.
En règle générale, constatent les zoologistes, lorsqu’une préférence s’instaure au sein d’une même espèce, elle se répartit à peu près équita blement entre les individus. Par exemple, il y aurait autant de droitiers que de gauchers chez les primates.
Bien sûr, ces qualificatifs de « droitiers » et « gauchers » sont peu pertinents en la circonstance.
Ainsi, j’ai observé que mon chien donnait plus volontiers la patte gauche lorsqu’on lui demande. Mais cela suffit-il à en faire un gaucher ? J’hésite à l’affirmer… Car les seuls repères spatiaux qui semblent vraiment opérants dans sa petite tête de brave toutou sont l’avant/l’arrière, le haut/le bas, le proche/le lointain. Pour le reste, je le soupçonne de se sentir assez peu concerné.
Je me suis d’ailleurs souvent demandé si mon chien, pour peu que je le lui apprenne, serait capable de reconnaître sa droite de sa gauche.
La question n’est pas absurde, loin de là. On sait en effet que la droite et la gauche sont des repères très subtils car très relatifs. Rien, de manière extéroceptive (pour employer un terme savant), ne nous permet de les distinguer l’une de l’autre. Autrement dit, il n’existe pas de droite et de gauche en soi ; tout est question de point de vue. Ainsi, pour moi qui suis gaucher, la droite se situe du côté opposé à ma main préférée. Pour un droitier, ce sera l’inverse. En outre, ce qui se trouve en ce moment à ma gauche se trouvera à ma droite lorsque j’aurai fait demi-tour. L’appréciation des repères latéraux nécessite donc une parfaite conscience de ce que les psy appellent le schéma corporel. J’intègre ces notions de droite et de gauche pour autant que je suis capable de les situer en moi et de les objectiver sur le monde qui m’entoure.
Or mon chien, qui vit sur quatre pattes et qui fait preuve de capacités intellectuelles assez limitées, serait-il apte à effectuer de telles opérations ? C’est un problème qui m’a longtemps préoccupé et pour lequel je n’avais jusque-là jamais trouvé de solution satisfaisante.
Une récente lecture m’a éclairé.
Dans L’Odyssée blanche (Laffont-Fixot, 1999), Nicolas Vanier raconte son expédition à travers le Grand Nord canadien (8600 km en moins de 100 jours dans des conditions climatiques ahurissantes). À un moment donné il explique la façon dont il communique avec ses chiens de traîneau. Ceux-ci ne sont pas dirigés par des rênes, mais obéissent aux ordres lancés par leur maître. Or, lorsqu’il crie « Djee », ils tournent à droite ; lorsqu’il crie « Yap », ils tournent à gauche.
Preuve est ainsi faite qu’un animal est capable de faire la différence entre sa droite de sa gauche.
… Depuis que je sais cela, je regarde mon chien d’un autre œil et, lorsqu’il me tend la patte gauche plutôt que la droite, il m’arrive de penser que c’est seulement pour me faire plaisir.
Mes amitiés gauchères à tous,
PMB
* Réédition d’une chronique mise en ligne en octobre 2008